La question du droit à la vie et du droit la santé a été posée pour la première fois mercredi dernier devant la cour européenne des droits de l’homme s’agissant de l’impact du dérèglement climatique. En effet, les grands-mères suisses et un citoyen français, confronté au risque de submersion mais également asthmatique, ont saisi la cour d’une demande tendant à voir reconnaître que leurs droits avaient été méconnus en raison de la carence climatique de la Suisse comme de la France à agir efficacement contre le dérèglement climatique.
Les grands-mères suisses mettaient en avant les périodes de grande chaleur et leur impact sur la santé des personnes âgées et notamment des femmes beaucoup plus concernées par des risques de décès que les hommes. Damien Carême pour sa part avait produit un certain nombre d’études mettant en lumière les conséquences du dérèglement climatique sur l’aggravation de l’asthme en raison en particulier des transformations polliniques, liées au caractère prématuré des pollens et à leur changement qualitatif.
Mais, le fondement était identique et c’est la raison pour laquelle la Grande Chambre de la cour européenne des droits de l’homme (c’est-à-dire la plus grande formation de cette haute juridiction) avait appelé le même jour ces deux affaires à l’audience. C’est une première historique à Strasbourg même si ce n’est pas une première historique au niveau planétaire.
En effet, plusieurs juridictions suprêmes ont d’ores et déjà statué sur l’applicabilité des articles deux et huit de la Convention européenne des droits de l’homme qui visent précisément pour le premier ,le droit à la vie ,et le second, le droit à une vie familiale normale intégrant la santé et l’environnement. Ainsi, la Cour suprême néerlandaise dans le fameux arrêt urgenda en 2019, la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe dans un arrêt de 2021, ou encore la cour suprême du Pakistan dans un arrêt Leghari de 2015, la cour suprême du Nigéria, la cour suprême d’Irlande ont sous des formes diverses consacré le principe selon lequel le droit à la vie et le droit à la santé sont mis en péril par le changement climatique et qu’en conséquence la carence climatique des Etats, qui influent, même modestement, sur le dérèglement climatique est à l’origine de cette mise en cause.
Cette extension du risque vital ,que nous fait courir le dérèglement climatique, aux droits humains est fondamentale sur le plan symbolique mais également très lourde de conséquences sur le plan politique et juridique. Il évidemment beaucoup trop tôt encore pour savoir la position que prendra la cour européenne des droits de l’homme mais, le refus des Etats à laisser contrôler par leurs propres juridictions d’abord et a fortiori par des juridictions internationales ensuite leur inertie est patent.
Devant la cour européenne des droits de l’homme, la France, la Suisse, l’Irlande qui est venue au soutien de la Suisse ont toutes souligné que si la cour européenne des droits de l’homme entrait dans cette voie, ce serait une transformation de sa compétence mettant en cause la base même de la convention. Cette position est évidemment éminemment contestable. Certes les Etats ont seuls la compétence de déterminer les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le dérèglement climatique et les juges n’ont évidemment pas à préciser ses moyens voir même à les apprécier. En revanche, à partir du moment où les Etats ont contracté des obligations, qu’elles soient de nature internationales ou européennes, il revient bien entendu au juge de contrôler la manière dont ces obligations sont remplies. Si tel n’était pas le cas, lesdites obligations ne seraient plus alors que des outils de communication sans aucun intérêt au regard de la gravité du problème qui est, personne ne le conteste réellement, de nature vitale. Et, si ces obligations touchent aux droits humains, alors la cour européenne des droits de l’homme est parfaitement compétente pour en connaître.
Et c’est sans doute un pied de nez de l’Histoire que ce soit le jour où se tenait cette audience historique que l’assemblée générale des Nations unies ait voté une résolution validant une demande d’avis à la Cour Internationale de Justice (qui, on le rappelle est chargée de juger les contentieux entre les Etats) pour que celle-ci contrôle les obligations des Etats au regard de leurs obligations climatiques et ce, à la demande des îles Vanuatu, menacées à très court terme de disparition.
Ainsi, progressivement l’étau se resserre autour des Etats et des entreprises, mais bien sûr autour de chacun d’entre nous pour que nous acceptions de changer dans le très court laps de temps que nous laisse le dernier rapport du GIEC avant une augmentation de la température dont personne ne peut connaître les conséquences catastrophiques.