Ce qu’il convient désormais d’appeler l’affaire Lubrizol est très certainement un révélateur de ce que pollution de l’air signifie. Nos concitoyens connaissent en effet la pollution de l’air chronique, celle du transport dans les villes, celle des pesticides dans les campagnes. L’explosion de Lubrizol traduit un aspect heureusement moins fréquent est celui d’un épisode de pollution atmosphérique aiguë.
En effet, si le préfet a, à juste titre, communiqué en affirmant qu’il n’y avait pas de toxicité aiguë, laquelle signifie un risque mortel immédiat, il va de soi que l’existence d’une toxicité potentielle est en débat. Le temps nécessaire pour obtenir des analyses suffisantes pour les HAP, les métaux lourds, les dioxines est incompatible avec la demande sociétale et la réponse étatique sur la » bonne qualité de l’air », même si elle repose sur une réalité en ce qui concerne les polluants mesurés ordinairement apparaît comme totalement décalée.
Le sentiment de nos concitoyens d’avoir été emprisonnés dans une prison à ciel ouvert dont ils ne pouvaient s’échapper et qui pouvait les asphyxier est une réalité. On peut éviter de manger un aliment, de boire de l’eau ; on ne peut éviter de respirer.
Les malaises assez nombreux dont les habitants de Rouen ont souffert ainsi que les angoisses qui sont les leurs, en particulier en ce qui concerne les femmes enceintes et les enfants, interpellent évidemment sur la nature des produits qui ont été émis lors de la combustion de plus de 15 000 t de produits pour beaucoup d’entre eux toxiques. Les procédures ont été lancées permettront évidemment d’en savoir davantage mais, l’accident de Lubrizol appelle une réflexion sur la communication publique en cas de pollution atmosphérique aiguë. Il est alors pas possible de renvoyer à plus tard les informations pas plus qu’il n’est possible de communiquer sur le mode « Tchernobyl » » tout va bien. Dormez braves gens ! »
Comment agir en période d’incertitude pour protéger au mieux les populations sans tomber dans la paranoïa ? Telle est la question à laquelle il faudra désormais répondre dans des conditions bien différentes de celles que nous venons de connaître où manifestement, informations et communications ont été confondues et la volonté de ne pas « paniquer » l’a emporté sur l’application du principe de précaution, voire même de simple prévention.
Il est clair que, à côté des spécialistes de la chimie, les médecins spécialistes des questions liées à la pollution de l’air doivent jouer un rôle beaucoup plus visible et important. Le corps médical a été quasi inaudible durant toute cette première phase après la nuit d’apocalypse qu’ont vécue les rouennais.
La réflexion devra aussi porter sur la gestion transdisciplinaire de ce type de crise et sur l’immense problème de la confiance. Lorsque la santé est mise en péril et a fortiori lorsque la vie peut être mise en cause, c’est le médecin qui devient le meilleur garant des objectifs à atteindre. Il revient aux politiques alors de déterminer les moyens pour y parvenir. Il est clair que ce qui vient de se passer et nous ne sommes qu’au début de cette affaire amènera de nombreux corps professionnels à s’interroger.