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Commentaire décision néonicotinoïdes

publié le 07/02/2023 | par Corinne Lepage

La décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne déclarant illégales les dérogations à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes est intéressante à plus d’un titre. 

En effet, La Cour rappelle (point 47) que les mesures d’interdiction prévues par les règlements ont été adoptées compte-tenu de la nécessité de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animal ainsi que de l’environnement. Elle souligne qu’avant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, il doit être démontré que ceci présente un intérêt manifeste pour la production végétale, et, qu’en outre, ils n’ont pas d’effet nocif sur la santé humaine ou animale. De plus, la cour condamne une interprétation des textes qui reviendrait à faire primer l’amélioration de la production végétale sur la prévention des risques pour la santé humaine et animale, ainsi que pour l’environnement. 

C’est la raison pour laquelle la Cour a jugé que le texte ne permettait pas à un Etat membre d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement des semences, ainsi que la mise sur le marché et l’utilisation des semences traitées à l’aide de ces produits, dès lors que cette mise sur le marché et cette utilisation ont été expressément interdites.

Cet arrêt est un arrêt de principe qui, appliqué de manière large à tous les produits phytopharmaceutiques nocifs pour la santé humaine et/ ou pour l’environnement, devrait conduire à les interdire purement et simplement.

Dans ces conditions, on ne peut effectivement qu’être étonné de constater que des produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques soient non seulement autorisés en tant que pesticides ( une liste particulière a été établie) mais peuvent aussi être dispersés à proximité immédiate des habitations. 

Le Conseil d’État avait exigé une distance d’au moins 20 mètres, mais les produits se retrouvent de toute façon de manière quasi identique jusqu’a 150 mètres du lieu d’épandage. En outre, les agriculteurs refusent de se soumettre à cette obligation.

Cette décision, qui exclut que la priorité soit donnée à la production végétale sur la santé humaine, devra s’imposer aux juridictions françaises qui sont encore très éloignées de cette logique. Ainsi, sur cette même question des néonicotinoïdes, le Conseil constitutionnel comme le Conseil d’État ont donné la priorité à l’agriculture sur la santé. Et que dire de la décision concernant le chlordécone qui, tout en reconnaissant le scandale d’état que constitue cette affaire, prononce un non-lieu pour prescription ?

Tant que la question des priorités ne sera pas réglée de manière claire et nette, c’est-à-dire que les autorisations de mise sur le marché de produits ou de techniques ne garantiront pas l’absence de nocivité, il n’y aura pas de politique de prévention sanitaire digne de ce nom. 

C’est bien évidemment une question de santé publique et de droits humains, mais c’est aussi une question économique et financière. La détérioration de notre patrimoine naturel et les morbidités, voire les mortalités, liées à la pollution chimique ont des coûts astronomiques pour la collectivité. Une véritable comptabilité intégrant ces coûts permettrait très certainement de mettre en place, également pour des raisons économiques, une politique beaucoup plus rationnelle que celle que nous menons.

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