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De l’éco-anxiété à l’éco-lucidité heureuse

publié le 09/11/2023 | par Nicole SQUINAZI TEBOUL

Nicole SQUINAZI TEBOUL, Psychanalyste, Paris

Communication à la 13e Matinale du Collège SEIQA, 19 octobre 2023

« Changement climatique et allergies : paroles de patients et de médecins »

1 Des nouvelles du monde  

13 Octobre 2022

Les populations d’oiseaux, de poissons, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont décliné de 69% en moins de 50 ans 

20 septembre 2023 

-Le glyphosate est lié à une élévation des marqueurs de dégâts neurologiques.  

-La Commission européenne propose de renouveler l’autorisation du glyphosate pour dix ans.  

22 septembre 2023

-La saison exceptionnelle des incendies canadiens a été rendue sept fois plus probable par le réchauffement climatique. 

5 octobre 2023

-Sur le climat, l’année 2023 n’en finit pas de dépasser des niveaux records inquiétants. 

6 Octobre 2023

-Les catastrophes climatiques ont entraîné plus de 43 millions de déplacements d’enfants en six ans. 

– La quantité de plastique dans les océans est évaluée entre 75 et 198 millions de tonnes. 

Je vais arrêter cette énumération inquiétante (je dirais même éco-anxieuse). Nous y rencontrons des données et des projections scientifiques  rendues accessibles dans les médias comme sur les réseaux sociaux. Des événements climatiques extrêmes et la transformation plus ou moins rapide de notre environnement y sont mentionnés.

Aux informations, projections et prospections sur l’avenir de la terre et de l’homme s’ajoutent ou gravitent autour, un certain nombre d’opinions : climato-scepticisme, complotisme, méfiance et déni,  indifférence et inaction, intérêts financiers et désinformation. 

Toutes ces informations et la manière dont elles sont reçues, nous conduisent vers une certaine peur, un certain désespoir.  

2- Que signifie le terme « éco-anxiété »

Eco-anxiété a été forgé et théorisé en 1997 par Véronique Lapaige, chercheuse en santé publique belgo-canadienne.   

Ce terme est composé de « éco » issu de « écologie » du grec « oïkos » qui signifie maison et « logos » qui signifie paroles, discours et de « anxiété » » du latin « anxiétas » dérivé de « anxius »  qui signifie qui ressent de l’anxiété, c’est-à-dire une  inquiétude très vive donnant l’impression que le cœur se serre. 

L’écologie concerne les relations des êtres vivants entre eux et avec leur environnement. Ces êtres vivants sont les animaux, les végétaux et les micro-organismes, l’anxiété  est l’état de trouble psychique lié à la crainte d’une menace réelle ou imaginaire.  

L’éco-anxiété est constituée d’une angoisse et d’un mal-être qui atteignent le sujet exposé à toutes les informations reçues et aux expériences vécues dans son environnement. Le sujet constate les changements déjà apparus, ceux qui sont à venir et qui vont modifier violemment ou insidieusement ses conditions de vie. 

« Mon paysage familier a disparu, je ne vois plus ni papillons, ni insectes, , les oiseaux qui chantaient dans mon jardin ne chantent plus, on a détruit la forêt de mon enfance, l’océan est jonché de plastiques, les plages sont couvertes d’algues vertes et sont interdites, je respire mal dans ma ville. » 

« Les catastrophes environnementales se succèdent, des écosystèmes entiers disparaissent,   l’incidence des catastrophes naturelles augmente. Des phénomènes météo extrêmes ont lieu, une pollution de masse mondiale se développe, tandis que s’opère une déforestation massive et une élévation du niveau de la mer. »

Cette éco-anxiété  est étroitement liée à un sentiment d’impuissance sur le plan général et/ou personnel, face à ces multiples changements. Un sentiment de se trouver dans une impasse  s’y ajoute et peut entraîner un choc traumatique avec effet de sidération plus ou moins intense. La prise de conscience d’un avenir sans avenir, passe par des mouvements cycliques qui vont d’une dramatisation des dangers à leur amenuisement. Mais aussi de déni. Et c’est ainsi que se danse une valse-hésitation liée à des sentiments de pouvoir-faire ou de complète impuissance qui peuvent se succéder de manière contradictoire, face à la quantité importante d’actions nécessaires, qui semblent impossibles à mettre en œuvre.        

Ces sentiments s’inscrivent dans un fond de persistances d’émotions douloureuses et négatives qui entraînent anxiété et dépression, inquiétude et pessimisme  alliées avec  la peur, l’angoisse, la tristesse, la  honte et la culpabilité, mais aussi la frustration et la colère. Ce qui provoque chez le sujet une fatigue d’être soi, des troubles du sommeil ou de l’appétit, une perte de sens et de motivation.  

3- Peut-on dire que l’éco-anxiété est une maladie ? 

L’éco-anxiété n’est pas une pathologie. Ce n’est ni une affection reconnue par les spécialistes de la santé mentale ni un syndrome. Elle n’est pas répertoriée dans le DSM 5, l’outil qui répertorie  les troubles mentaux. 

Cependant, l’APA, l’association américaine de psychologie a évoqué l’éco-anxiété dans un rapport sur les impacts du changement climatique sur la santé mentale et l’a défini comme la peur d’un désastre (en anglais doom) environnemental.     

L’éco-anxiété est, avant tout, un sujet d’inquiétude réel et partagé, un stress nécessaire lié à la survie, une réponse rationnelle à la crise et au mal-être qui en découle. C’est aussi une responsabilisation indispensable vers un engagement en termes de pensée, de parole et d’action.  

Mais cette éco-anxiété, peut devenir pathologique. Le phénomène est récent et plutôt mal connu. Il fait l’objet de nombreuse consultations auprès des professionnels aux Etats-Unis d’Amérique, un peu moins en France où il est émergent. 

Lorsqu’elle est pathologique, l’éco-anxiété peut provoquer des crises d’angoisse, des attaques de panique. Mais aussi, des pensées ou des idées obsessionnelles, des questionnements permanents et des  comportements compulsifs. Trop douloureuse, elle peut entraîner des réactions psycho somatiques et des syndromes post voire pré traumatiques. Envahissante, elle peut devenir paralysante dans la vie quotidienne, et modifier la qualité de vie, par des symptômes comme les troubles alimentaires, orthorexie, anorexie ou hyperphagie.  

Sur fond de pessimisme général, elle peut devenir le point de départ à des dérives liées au complotisme et au survivalisme. 

Le complotisme est un soupçon qu’un complot est à l’œuvre : par exemple pour les complotistes le consensus scientifique sur le changement climatique serait fondé sur des complots destinés à manipuler les données pour des raisons idéologiques ou financières. 

Le survivalisme désigne les activités de certains individus ou groupe d’individus qui se préparent à une ou des catastrophes éventuelles par des techniques de survie de toutes sortes, apprentissage des milieux sauvages, rudiments de notions médicales, construction d’abris, stockage de nourriture ou d’armes, dans un mouvement excessif et à certains égards paranoïaque.      

  • Vignettes cliniques

Je vais vous présenter deux vignettes cliniques susceptibles de vous faire comprendre ce qui se joue pour les sujets confrontés à une éco-anxiété pathologique.

1. Voici le cas de Cédric, un jeune homme de 25 ans qui termine sa dernière année de formation d’ingénieur à Agro Paris Tech. Le jeune homme est issu d’une famille favorisée attentive aux changements environnementaux et active à réduire son empreinte carbone, à se nourrir mieux et à consommer de manière durable. Cédric milite au sein du parti écologiste. Il vient me consulter après deux mois d’absence à ses cours, deux mois où il resté enfermé chez lui, loin de son école et coupé de toutes les interactions sociales. Il a consulté son médecin généraliste qui lui a prescrit des antidépresseurs. Ceux-ci n’ont pas eu les effets escomptés. Il vient me consulter sur les conseils d’un ami.  

Je reçois un jeune homme fatigué, qui dort peu, qui mange peu et qui peine à sortir de chez lui. Il me fait part de sa culpabilité face aux changements  environnementaux et son insatisfaction  face aux quelques actions insuffisantes selon lui, qu’il a menées  pour améliorer l’état de la terre. Il a un sentiment prégnant d’impasse dans ses études.  Alors qu’il s’y était engagé dans le but précis d’améliorer le climat et l’environnement. Il est sûr que désormais, rien ne pourra jamais s’améliorer. Au cours de nos séances il me confie deux images qui résument son mal-être :

« C’est comme si je devais vider la mer avec une petite cuillère ! » 

« Face à l’environnement, je suis comme Sisyphe avec son rocher ! »  

Nous nous mettons d’accord pour un rythme de deux consultations par semaine. Je découvre que les premiers symptômes sont apparus au moment d’une rupture amoureuse. Cédric parvient à exprimer sa douleur ainsi qu’un double sentiment d’échec : perte de confiance en lui-même face à cette rupture et peur massive pour son avenir et celui de la terre. Il est très impliqué dans sa thérapie. Impatient d’aller mieux. Il ne manque aucune séance et manifeste la volonté de retrouver un peu de désir d’exister. En séance, je l’encourage à dire tout haut comment il voit son avenir.  Comment se verrait-il utiliser ses connaissances pour inventer une approche différente de l’environnement ? Comment l’amour peut-il  s’inscrire à nouveau dans ses espoirs et dans un projet de lien nouveau ?  Il me parle de son goût pour la lecture et pour l’écriture. Je lui propose d’écrire chaque jour un petit texte sur la nature avec les joies et les inquiétudes qu’elle lui procure.

Trois mois seront nécessaires pour qu’il retrouve l’appétit et le sommeil  et qu’il envisage de travailler après son diplôme dans une ONG, plutôt que dans une multinationale de l’alimentaire, comme il l’avait craint. Il comprend aussi que les quelques phrases  qu’il a rédigées chaque jour pourraient faire l’objet d’un blog régulier. Ce blog va être très suivi et va lui permettre de rencontrer de nombreux jeunes de son âge, ainsi qu’une jeune militante avec laquelle il va tisser un lien amoureux. Il peut alors retourner en cours et terminer son cursus, apaisé et capable de se projeter vers un avenir où il pourra réduire son inquiétude environnementale par l’action menée depuis son blog et retrouver des liens et des interactions sociales. 

2. Le deuxième cas clinique concerne Camille, une jeune femme de 20 ans qui travaille dans un magasin de vêtements d’occasion,  après avoir raté le concours d’entrée dans une école des Beaux-Arts. Elle adore la mode, milite pour les vêtements de seconde main  et se passionne pour leur customisation. Elle vient me voir avec une grande inquiétude et une forme d’épuisement physique et moral. Elle m’explique qu’elle manifeste un comportement maniaque vis-à-vis de la nourriture, qu’elle vérifie la qualité de tout ce qu’elle mange, et veille à trier tous les déchets de manière compulsive, harcelant son entourage et se disputant en permanence avec ses trois sœurs. Elle en veut au monde entier et ne sait plus quoi faire de sa vie, ni pour la terre qui l’inquiète…     

Ces symptômes sont apparus il y a six mois à son retour de vacances au Portugal au cours desquelles les forêts des environs du village d’enfance de ses parents, ont brûlé sur des milliers d’hectares. Elle a été évacuée au cours d’une nuit dont elle se souviendra toujours et en est ressortie traumatisée. Depuis, ses nuits sont peuplées de cauchemars de forêts en flammes et elle reste des heures à regarder les chaines d’informations et les réseaux sociaux ainsi que tout ce qui concerne l’environnement qui l’intéresse jusqu’à l’obsession. Nous mettons en place une séance par semaine. La thérapie dure un peu plus d’un an, au bout duquel elle va retrouver un certain équilibre en renouant avec des nuits plus apaisées où les cauchemars ont disparu.  En séance je l’encourage à retrouver cette joie qu’elle a de customiser des vêtements. Elle m’apporte quelques fois des échantillons de son travail, paillettes cousues sur des chemisiers, applications de dentelles sur des jeans, broderies et galon sur toutes sortes de vêtements. Au cours de sa thérapie, elle s’intéresse aux arbres et plus particulièrement à ceux du nord du Portugal, fait en sorte de les connaitre mieux et d’être à même de les reconnaître et de les protéger, comme lorsqu’elle était enfant et qu’elle passait des vacances chez son grand-père qui lui parlait longuement de la nature et des plantes. Elle va désormais dans les écoles parler de protection de la nature et des forêts  et envisage de présenter de nouveau le concours des Beaux-Arts.    

4- Quelques chiffres 

Ces deux  vignettes cliniques sont deux exemples représentatifs du mal-être de la jeunesse face aux changements climatiques et aux dégâts environnementaux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 

75 % des jeunes considèrent que l’avenir est angoissant 

59% sont très  inquiets ou extrêmement inquiets à propos du changement climatique.  

50% ressentent tristesse, anxiété, colère, impuissance et culpabilité.  

45% pensent que les émotions vécues à cause du changement climatique affectent leur vie quotidienne. 

Les tendances récentes montrent une augmentation de l’inquiétude après les événements climatiques estivaux et/ou la lecture d’informations ainsi qu’une extension significative à toutes les tranches d’âges.  Par ailleurs, on a montré une accentuation de toutes ces perceptions avec la crise du covid-19. En même temps, un grand besoin de nature se fait sentir ainsi qu’une prise de conscience de la vulnérabilité humaine. 

On note que l’environnement urbain avec le stress, le bruit et la pollution fait présenter aux habitants des villes un risque psychique. Il provoque des atteintes sur la santé mentale (particules fines de l’atmosphère qui se logent dans le cerveau). La chaleur météorologique entraîne des troubles du comportement, violences et risques de suicides. La sècheresse présente des risques de troubles neuropsychiques liés à la déshydratation et à la malnutrition. Toutes ces décompensations peuvent avoir un impact sur le cerveau des enfants à naître. Enfin les événements extrêmes sont facteurs de stress post- traumatique et de migrations climatiques. 

Comme l’exemple des deux vignettes l’a montré, on peut avoir intérêt à consulter si l’angoisse est profonde, empêche d’agir et dure. Si la dépression persiste, s’il existe des problèmes d’addiction et des idées suicidaires.  

5-Vers une éco-lucidité heureuse

On peut essayer de transformer cette éco-anxiété en éco-lucidité heureuse, en retrouvant un peu de soi et des autres, sans déni.

Aujourd’hui, nous savons ! Il s’agirait de développer un nouveau savoir-vivre en sachant.   

Savoir exister par son souffle. Réguler sa respiration et exercer son corps à l’activité physique. 

Couper le flot des informations qui nous attire et qui nous arrivera de toute façon.    

Retrouver des plaisirs simples et joyeux : Contempler la nature. Ecouter le chant des oiseaux. Marcher dans l’herbe. Observer le soleil qui se lève.    

Ecouter de la musique. En jouer. Faire des gâteaux. Les partager. Lire des livres ou des poèmes à haute voix. Ecrire pour soi, pour comprendre.   

Raconter ses joies, ses peurs et ses projets à ceux qui nous sont chers. Parler avec les autres. Que chaque jour soit l’occasion de quelques mots avec une ou un inconnu.  

Prendre soin des autres depuis une nouvelle confiance acquise pour soi-même. Par des activités de bénévolat autour de personnes âgées, d’enfants ou d’adultes selon nos compétences et nos choix, nos goûts et nos passions. 

Savoir que de nombreux changements et difficultés ont déjà troublé nos ancêtres et qu’ils s’en sont sortis. 

Savoir que tout seuls nous ne sommes pas suffisamment puissants, compter sur le collectif pour agir.  

Compter sur soi pour des actions de chaque jour, valorisantes, fussent-elles minuscules. Penser au colibri.  

Ainsi, l’éco-lucidité heureuse pourrait devenir une éco-lucidité enthousiaste, pour le formidable travail de réinvention qui nous attend ainsi qu’il attend nos enfants et nos petits-enfants.

Nicole Squinazi Teboul

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