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Histoire d'allergies

Le confinement

publié le 13/05/2020 | par Michèle Pipart

ALLERGIQUE ? Histoires et nouvelles pour petits et grands.
L’auteure nous emmène dans un monde allergique vivant, drôle, émouvant, à travers des scènes imaginaires ou de la vie quotidienne.Ces courtes histoires sont rythmées par les saisons en commençant par le printemps.

Ça y est, je pars enfin, quelques jours faire du ski avec mes copains La maman de Ronan est une pro sur les skis. Elle accepte de nous emmener tous dans son chalet dans le Jura, toute la troupe c’est à dire : Ronan, Julien, Maxime, Paul et moi.

Je suis le seul à 15 ans à ne pas savoir faire du ski. Nous habitons dans un petit appartement à Paris et mes parents sont loin d’être sportifs. A la rigueur, mon père chausse ses baskets une fois par semaine pour aller chercher du pain à la boulangerie à 200 mètres. Parait-il qu’il était sportif lorsqu’il était jeune. Mes parents n’étaient pas très enthousiastes à l’idée que je parte car l’école ce n’est vraiment pas ça. Je recopie souvent sur Maxime et je maintiens juste la moyenne. J’ai découvert sur Internet que j’étais atteint de phobie scolaire ! Je passe mon temps à Paris enfermé dans ma chambre : volets fermés pour ne pas avoir de reflet sur l’écran et casque de gamer sur la tête. Je suis un super pro des jeux vidéos.

Las adieux déchirants de ma mère sur le quai de la gare me mettent la honte devant les potes. Et des bisous et des : n’oublie pas ton écharpe et surtout téléphone moi tous les jours. Tous les jours, tu parles, nous ne partons que 5 jours car les vacances d’hiver sont tristes à Paris : parents qui travaillent toute le journée et les copains partis.

A peine arrivés dans le Jura, nous balançons les sacs de voyage sur le lit de la chambre de Ronan qui se précipite dehors dans la neige. Un ciel bleu, comme je n’en ai vu que dans mes jeux vidéos, des sapins, de la neige, des chalets en bois et des chiens qui se courent après, bref je suis sur une autre planète. « A table les garçons, c’est repas crêpes, servez-vous et vous les garnissez comme vous voulez ».

Le lendemain matin, nous fonçons dès l’ouverture des pistes pour prendre un forfait, puis passage chez le loueur de matériel. Mes premiers pas sont très hésitants. « Allez grouille-toi, il faut monter sur le tire-fesses. » Je ne sais pas par quel miracle j’arrive à me tenir à la barre. L’éjection est un peu problématique et je fais semblant d’être à l’aise. Évidemment je me tords la cheville mais j’attaque la descente. C’est plus sympa que je l’appréhendais. Maxime me rejoint et me met une claque sur l’épaule ce qui me donne de l’élan, un peu trop car je pense que j’attaque une piste qui n’est pas à mon niveau, mais alors pas du tout ! Une chute brutale suivie d’un bruit de craquement et je perds connaissance. Je me réveille dans l’ambulance, la mère de Ronan est à mon coté. La suite …opération tibia, péroné et jambe plâtrée. Je ne peux me déplacer qu’en fauteuil roulant. Pas question de retourner à Paris, l’appartement n’est vraiment pas adapté. Ma mère est complètement affolée au téléphone. « Je téléphone à ta grand mère qui habite pas très loin du chalet. Si elle accepte de te prendre tu pourras aller chez elle, sa maison n’a pas d’étage. »

Arrivée en ambulance chez mamie qui s’essuie les mains sur son vieux tablier. «Bonjour mon grand, tu n’as pas à t’inquiéter, je vais bien m’occuper de toi » Mamie, cela fait longtemps que je ne l’ai pas vue. Au moins deux ans car mes parents ne vont pas la voir souvent.
Chez Mamie, il y a :
des livres, des livres et encore des livres de toute sorte,
des champs, des champs et encore des champs,
des vaches qui appartiennent au voisin,
un âne qui brait du matin jusqu’au soir,
des poules qui gloussent et meme un jars qui cacarde….
Une vraie ménagerie. Il ne manque que les lapins car Mamie ne veut pas les tuer. Sans oublier Jaja le vieux chien de ferme que j’ai toujours connu et des chats mais alors plein de chats dehors.

Mais chez Mamie il n’y a pas :
de réseau 4G,
internet,
d’ordinateur (juste un vieux machin qui tourne sur ? Peut-être encore Vista?)
de console de jeu vidéo
et la télé est planquée sous une nappe sur un support branlant. Il y a même encore une antenne râteau sur le toit.

Ma chambre était celle de papa dans sa jeunesse, pas franchement gaie. Un papier peint beigeasse plus ou moins uni, des photos d’avion en noir et blanc dans un cadre, un lit avec un sommier métallique qui grince. Le matelas est en laine, l’oreiller en plumes et j’éternue au moins 10 fois en rentrant dans cette pièce. Une seule prise de courant pour brancher la lampe de chevet, enfin je pourrais quand même recharger mon portable. Mamie m’aide à me mettre sur le lit et m’apporte un énorme bol de chocolat chaud avec des tartines. Je me régale bien que j’aurais préféré être au fast food avec mes copains. Mamie ferme mes gros volets de bois. « Eh mais il est 20h30 ! » « Justement à la campagne on se couche tôt, bonne nuit mon grand » Pas question de débrancher mon chargeur, avec ce plâtre pas question de me lever. » Non, je rêve, c’est un…. pot de chambre à coté de mon lit.

Nestor -l’âne- est réveillé et commence déjà son boucan, le coq coqueline – c’est son chant au lever du jour, dixit Mamie. A 7heures Mamie rentre dans la chambre. 7 heures ! Alors que je suis en vacances. « Bon je viens t’aider à te lever. Je t’ai amené les béquilles de mon défunt – papy en pratique!- car je ne peux pas te porter. Allez appuie-toi dessus, met ta jambe par terre, non l’autre celle qui n’a pas de plâtre, quel empoté tu fais. Viens dans la cuisine déjeuner et après tu iras te laver dans la salle de bains. Tant bien que mal j’y arrive mais j’ai vraiment de la peine à m’appuyer sur les bras. « Allez viens dehors et tu vas m’aider à éplucher les pommes de terre pour midi » Mais je viens juste de me lever… Éplucher des pommes de terre ? Le couteau est bien trop aiguisé et je me coupe le pouce. Enfin juste une petite coupure mais qui saigne quand même. Mamie me fait les gros yeux et va chercher une compresse et un bout de sparadrap. Hélas c’est du vieux sparadrap tissu et je sais que j’y suis allergique. « Tu n’es pas fichu d’éplucher les patates ? Et avec un économe non plus ? « C’est quoi un économe ? » Chez nous les frites sont surgelées et la purée en flocons. « Et équeuter les haricots, tu sais faire ? » Chez nous les haricots sont en boite et pas souvent car papa n’aime pas ça et moi, pas beaucoup donc maman n’en fait pas.
« Au fait, j’ai rangé tes affaires dans l’armoire et il y a un bouton qui manque à un polo et tes jeans sont tous déchirés. Je te les ai raccommodés ce matin avant que tu te lèves ! » Mes, mes jeans
« Bon, si tu n’as rien à faire, prends un livre et lis. » Lire, beurk .. Mon portable est resté dans la chambre et je vais le chercher avec mes béquilles. « Dis Mamie tu n’as pas vu mon téléphone ? Je l’avais mis à recharger. »« Pas question que tu uses de l’électricité pour ça , si tu veux téléphoner tu prends le combiné qui est à la salle à manger »

Le repas de midi est un vrai régal : des pommes rissolées fondantes dans la bouche, une grosse tranche de jambon fumé, des cornichons faits par mamie et en dessert une tarte aux pommes avec une pâte feuilletée que mamie a faite ce matin. Mais elle se lève à quelle heure Mamie?Cet après-midi, je ferais bien une petite sieste sur un des fauteuils de la bibliothèque car j’ai passé toute la matinée dehors sous le auvent et ma jambe me fais mal.
La bibliothèque est immense, je ne sais pas combien de livres sont là. Il y a même une partie coulissante qui cache derrière un mur entier de bandes dessinées. C’était papy qui avait fait ces rayonnages et je m’effondre dans le gros fauteuil après avoir pris une bonne quantité de BD. Mamie est ravie que je m’occupe ainsi.
« Si tu veux, ton père avait aménagé une salle de sport dans la pièce du pavillon du concierge au fond du jardin » La maison de Mamie est immense et dans le temps il y avait une maison de maître qui a été démolie pendant la guerre et une grande ferme. Papy et Mamie avait emménagé dans leur jeunesse dans la ferme.

Le soir : soupe de légumes épaisse faite par mamie, de la crème fraîche et le reste de tarte aux pommes.

Les jours suivants se passent à explorer la maison que je ne connaissait guère, mis à part la salle à manger et la cuisine. Je ne suis jamais resté plus de quelques heures ici. La découverte de la salle de sport fut un véritable choc. J’ai toujours rêvé de faire de la musculation comme mes copains, mais pas de salle de sport à proximité de l’appartement et les tarifs…Mon père s’était aménagé une vraie salle de sport avec banc de musculation, corde et anneaux fixés au plafond dans la poutre, Au mur sur un râtelier tout un ensemble de barres, poids, haltères de toutes sortes. Évidemment, il n’y a pas d’appareils connectés, même pas de prise de courant. Une immense fenêtre donne sur le parc, les murs sont crépis et les poutres et la charpente, donnent un cachet fou à cette pièce. Il y a même un gros sablier d’une durée de 15minutes au mur ! Tous les matins je me mets sur le banc de musculation et fait du « lever de fonte ». C’est pas facile avec cette fichue jambe dans le plâtre, mais j’y arrive.

Bien sur mes copains sont venus me voir avant de repartir à Paris mais ils n’ont pas décollés de leur téléphone. Visite chez le chirurgien au bout de 3 semaines. « Tu as l’air en pleine forme mon garçon, l’air de la campagne te réussit. Bien sur il te faut encore 3 semaines mais tu pourras prendre des béquilles » Je regarde Mamie du coin de l’œil, avec elle c’est béquilles au 2ème jour…. aucun problème.
Les journées s’écoulent à une vitesse folle. Les levers d’haltères, les anneaux et même le grimper à la corde à la force des bras ne me posent plus de problème rt je bien content à 20h d’être au lit. C’est fou ce qu’elle sait faire Mamie. Moi qui la voyais avec son tricot, son vieux tablier, assise toute la journée ?.. En fait de tricot, elle est présidente du club des Amigurimis du département. Les Amigurimis sont des peluches faites au crochet, en tricotant en rond C’est facile et elle m’a montré comment faire. J’ai fais mon premier Pokémon ! Elle les réalisent pour les enfants hospitalisés au CHU. J’ai une sacrée mamie .
Les livres ! Je les dévore. Qui lisait des BD, de l’heroic fantaisy ? Qui est fan de Robin Hoob ? Qui se laisse même aller à écouter du métal symphony ? J’ai vraiment une sacrée mamie.
Ma jambe se remet doucement mais je suis plus musclé et bronzé qu’avant le ski.

Bon il va quand même falloir rentrer à Paris pour reprendre les cours.
Et là aux infos à la radio (France Info ou France Inter uniquement) j’apprends que toute la France est bloquée à cause d’une épidémie de virus. Les déplacements sont interdits et du coup je suis obligé de rester chez Mamie. La durée du confinement se prolonge.
Nos soirées se passent à faire des jeux de société. Elle a gardé tous les jeux de mon père en bois
et connaît un max de jeux de cartes. Elle me met des raclées au tarot ….tout en m’avouant son appartenance au club de tarot du village…Elle a même gagné des tournois.

Ça y est le confinement est programmé et les cours ne reprendront qu’en septembre dans mon lycée. Je RESTE…chez ma super mamie.
Les lectures ont évolué au fil du temps et le théâtre classique n’a plus de secret pour moi, Rabelais c’est super drôle. J’ai du mal avec Diderot ou Freud mais avec le temps je compte m’y mettre d’autant que Mamie est géniale en professeur de français. Elle a un copain professeur de maths qui m’envoie des cours et des exercices. Si je ne comprends pas je n’ai qu’à l’appeler. Finalement les maths c’est simple. Je me passionne également pour l’histoire de France. Mamie a consenti a acquérir un ordinateur portable et l’on se regarde des DVD : les rois maudits, le bossu, Notre Dame de Paris. Elle commande des DVD à la boulangerie. La boulangère est une de ses amies et se passionne pour le théâtre classique et les vieux films.

A la fin du confinement mes parents viennent me rechercher. Bronzé, musclé, cheveux coupés courts et jeans sans trous.. ils ne me reconnaissent par !
« Allez on rentre à Paris mon vieux.. Tu vas pouvoir retrouver tes copains »
Paris, son ciel grisâtre, les copains partis. Je me reconnecte sur ma console, ferme mes volets et remet mon casque sur la tête. Parfois, à midi, je pars m’acheter un hot dog ou un hamburger. A Paris la reprise des jeux vidéos des heures d’affilée ne muscle pas beaucoup. Je suis encore loin de ressembler à Marcus Fénix, mon perso préféré sur Gears of War.
Je passe des semaines dans l’obscurité de ma chambre, des semaines sans vraiment sortir. A Paris, pas de livres et la bibliothèque est trop loin. Nestor, les vaches et même les poules me manquent. Les promenades dans les champs, Mary la vendeuse de la boulangerie, l’air doux, le vert, le bleu..
« Alors fiston, la campagne c’était comment sans console, sans téléphone, sans copains ? Et je suppose que tu n’as pas fait grand chose comme cours. Mamie n’a toujours pas internet ? El la télé ? Toujours le vieux poste cathodique en noir et blanc ? Heureusement là tu es de nouveau à Paris. Tu sais le confinement c’était pas rigolo, pas question de sortir de chez soi et le télétravail pas simple. La cohabitation en continu avec ta mère et tes 2 petits frères, ras le bol..u fait avec l’arrêt des cours toute ta classe passe en 1ère et du coup toi aussi. Tu n’aimes ni les maths ni les sciences, tu es inscrit en littéraire. De toute façons je ne me faire guère d’illusions pour ta prochaine année scolaire, vu ton niveau en seconde. »
« Papa est-ce que je peux retourner chez mamie pour les grandes vacances ? « « Chez Mamie, tu es sur , je voie cela avec elle ».

Les vacances à la campagne se passent à une vitesse folle.
Mary – son père est anglais- va également rentrer en 1ère en septembre et sa mère – la boulangère- nous as pris des fiches de révision. Pour une fois la rentrée scolaire ne m’angoisse pas. En Français, j’ai lu avec Mary les bouquins obligatoires à étudier en 1ère et franchement allongés sur une couverture dans l’herbe, la littérature me passionne. Mon anglais est presque parlé courant et Mary m’a filé à lire Harry Potter en anglais. Pour une fois, pas de dispense de cours de gym à la rentrée : grimper de corde à l’équerre et croix de fer aux anneaux , faciles.. Il faut bien impressionner Mary !

Vive la campagne, Mamie et surtout Mary…et le confinement dans ces conditions.

 

ALLERGIQUE ?
Histoires et nouvelles pour petits et grands.

Le printemps.
L’allergie est une maladie mondiale en forte expansion.
Cet ouvrage aborde l’allergie par le biais de petites histoires. Le vécu de l’allergique, ses difficultés au quotidien sont décryptés afin de mieux connaître et par conséquent de mieux combattre ce fléau : l’allergie. De nombreux conseils, astuces sont donnés pour identifier et éviter l’allergène responsable des symptômes présentés.

L’auteure nous emmène dans un monde allergique vivant, drôle, émouvant, à travers des scènes imaginaires ou de la vie quotidienne.
Ces courtes histoires sont rythmées par les saisons en commençant par le printemps.

Michèle PIPART est médecin allergologue et exerce depuis 1989 l’allergologie dans son cabinet libéral. Elle est également diplômée en Sophrologie relaxation.

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